• En Marge des différentes gay prides qui vont envahir toutes les rues des grandes villes de France durant ce mois de Mai, et au lendemain du refus par l'assemblée nationale de la légalisation du mariage homosexuel, laissez-moi vous offrir ce petit texte en guise de "commentaire"

    JULIEN
    Je peux t’embrasser ?


    ANDREAS
    Quoi ? Là ? Maintenant ? Devant tout le monde ?

    JULIEN
    A ce que je sache ce n’est pas interdit par la loi.

    ANDREAS
    Pas encore, mais ça ne devrait pas tarder.

    Ils s’embrassent. Le serveur arrive.

    LE SERVEUR
    Excusez-moi de vous demander cela, mais est-ce que vous pourriez éviter de faire vos
    choses devant tout le monde ?

    JULIEN
    De faire quoi devant tout le monde ?

    LE SERVEUR
    Ca ! Là ! Vos échanges de salive.

    ANDREAS
    Vous voulez dire quand on s’embrasse ?

    LE SERVEUR
    C’est impudique.

    JULIEN
    Et le jeune couple qui se lèche la pomme depuis cinq minutes sur les fauteuils au fond c'est pas impudique peut être ? Pensez à mettre la capote avant de commencer ça serait dommage de salir les fauteuils !!


    LE SERVEUR
    Ils sont amoureux.

    JULIEN
    Parce que nous, on est juste des gros pervers qui aiment s’exhiber ?

    LE SERVEUR
    C’est pas moi qui le dit. Et je vous demanderais un peu de discrétion. Pas besoin de faire votre show.


    JULIEN
    Oh que si je vais le faire mon show ! Et je vais même donner ma meilleure représentation ce soir !! Ladies & Gentlemen, for tonight and tonight only, j'ai le plaisir de vous présenter...

    LE SERVEUR
    Laurent.

    JULIEN
    ...de vous présenter Laurent, le spécimen le plus représentatif de ce qu'est notre très chère société contemporaine française. « Liberté, Egalité, Fraternité », c'est beau sur le papier ! « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. », article premier de la déclaration des droits de l'Homme. « égaux en dignité », ça veut donc dire qu'un être humain n'est pas plus ou moins digne qu'un autre. Donc dans le cas qui nous intéresse, deux hommes qui s'embrassent en public, ce n'est pas moins digne que les deux pervers du fond. Et pourtant ça choque tout le monde.Et oui, la morale judéo-chrétienne est passée par là : un couple c'est un homme et une femme qui s'unissent dans le but de donner la vie. Où est l'amour là dedans ? C'est pas précisé qu'ils doivent s'aimer...juste procréer. Trouvez moi un seul passage où il est écrit
    qu'un homme ne peut aimer un autre homme. L'amour entre un homme et une femme n'est pas plus pur que l'amour entre deux hommes. Pourquoi il le serait ? Certains disent que c'est contre nature parce que la nature a prévu les organes génitaux pour que la femme et l'homme s'emboitent très bien. Et bien nous aussi les gays on s'emboitent très bien, je vous remercie. Et on s'aime très bien aussi. Voyez Karl Lagerfeld, il a aimé un homme si fort que quand celui ci a disparu, il n'est plus retombé amoureux depuis. Ce n'est pas de
    l'amour pur ça ? On passe notre temps à entendre à la télévision ou à la radio que les préjugés sur les homosexuels sont tombés, que la « communauté » est plus ouverte sur le monde, moins marginale. Et pourtant, hier encore deux de mes amis marchaient main dans la main le soir du côté des Halles. Un groupe de jeunes les arrêtent pour leur demander qui fait la femme. Ce n'est pas de la discrimination peut être ?

    LE SERVEUR
    C'est normal qu'on se pose la question. On ne connaît pas ces choses là.Écoutez, si vous êtes venu pour vous faire remarquer et pour choquer tout le monde je vais devoir vous demander de partir.

    JULIEN
    Je me suis un peu égaré désolé. Pour revenir au sujet, c'est devenu à la mode d'avoir un ami gay. Tout les bons bobos du 5ème qui roulent en vélib' vous le diront : « J'ai un ami homosexuel, qu'est ce qu'on rigole ! » Mais que leur ami vienne avec son copain et qu'ils s'avisent d'échanger un petit baiser entre eux, les bobos seront choqués. Vous admettez qu'on existe tant que vous ne nous voyez pas. Vous avez pris le sens premier de la « tolérance », vous nous tolérez. Pas plus. Vous nous tolérez tant qu'on ne se montre pas. Alors il y a un quartier gay, des bars gay, des boites gay, des boulangers gay. On a jamais vu de soirées « hétéro friendly ». On nous fait croire que c'est une ouverture mais ce n'est qu'une autre idée du ghetto. Un ghetto politiquement correct mais un ghetto. Commencez par acceptez un petit bisou. Ça serait déjà un grand pas. Non mais je crois que ce n'est, au final, pas de votre faute. C'est nous. On s'est trompé de combat. On a passé notre temps à revendiquer la différence alors qu'on aurait dû demander l'indifférence. Il ne fallait pas dire qu'on existait différemment mais qu'on était pareil. Allez viens, on s'en va.


    Ils sortent, se tenant par la main. Noir.

    (Extrait de Morceaux de Moi...ou des autres, de Florian Vallaud. Texte protégé, déposé à la SACD)

     


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  •    Billet d'humeur

    Hier, alors que je discutais avec un de mes amis de mon goût prononcé pour ce qu'on appelle actuellement « la culture geek », celui-ci me lança cette réplique sans appel : « Oui, c'est bien joli mais ça ne vaut pas la vraie culture ! ». Et je dois bien avouer que depuis, cette phrase me hante.

     Sur le moment, j'ai répondu que tout ceci n'était qu'une affaire d'appréciation. Mais n'avait-il pas soulevé ici un problème intéressant ? Finalement il venait de se faire le porte-parole de l'opposition qui déchire les politiques culturelles depuis Malraux dans les années 1950-1960. Une opposition entre ce qui serait de la vraie culture et la culture populaire. L'une étant naturellement meilleures que l'autre qui n'est vouée qu'à engranger de l'argent.

     Grand naïf que je suis, j'avais imaginé que notre époque avait transformé cette question. Ce serait malhonnête de ma part de dire que j'étais convaincu qu'elle l'avait réglée. La démocratisation culturelle, qui consiste à aider tout les publics à être à égaux à l'accès des « œuvres de l'esprit », est un échec. C'est incontestable. Sortez de chez vous et demandez à votre voisin si il connait Pina Bausch, Wajdi Mouawad ou Patricia Petitbon. Buren, il connaîtra les colonnes et, si il est parisien, vous dira : soit qu'elles gâchent la cour du Palais Royal, soit que ses enfants adorent monter dessus. Et quand vous lui expliquerez qui sont ces personnes, peut-être vous rira-t-il au nez ? Peut être vous dira-t-il que tout ceci n'est pas pour lui. Que lui, il préfère aller à la FNAC acheter le dernier blockbuster américain et se bouquiner un bon polar couché dans son lit. Et alors ?

     Je pensais vraiment que nous étions dans une période où on ne parlait plus de LA culture mais DES cultures. Que les deux mondes pouvaient coexister et se nourrir l'un de l'autre. Mais que penser quand pendant une année avec des professionnels on entends parler de « non-public » pour désigner ceux qui ne viennent pas dans les salles subventionnées ? Alors oui, l'intimidation culturelle est une réalité. Mais presque trente ans après la création des médiateurs culturels, rien n'a bougé. Pourquoi ? Pourquoi toute une frange de la population continue de penser que ce qui se passe entre les murs d'un théâtre, d'une galerie d'art, ou d'un opéra ne les concerne pas ? Quel biais est utilisé pour tenter de les motiver ? Une baisse des prix : ça ne fait qu'encourager le public déjà acquis à se rendre encore plus dans ces lieux.

      Pourquoi la majorité de la population « consomme » la culture populaire ? Parce que comme son nom l'indique, elle lui parle. Elle utilise des codes que tout le monde peut saisir immédiatement. Et la clé de tout cela est certainement là, il faut que le public se sente concerné. Pourquoi quelqu'un comme Hamid Ben Mahi, chorégraphe de Hip Hop de la banlieue bordelaise, réussit à toucher un plus grand nombre que les autres ? Le Hip Hop lui facilite certainement la tâche puisque c'est une danse populaire au départ. Et surtout il aborde des sujets qui touchent les banlieues frontalement. Et ça marche, on a de l'excellence artistique accessible au plus grand nombre. Les exemples sont nombreux.

     Et quand bien même, pourquoi une œuvre « populaire » ne serait-elle pas aussi de qualité ? Tout les lecteurs et spectateurs de l'œuvre de Tolkien, Le Seigneur Des Anneaux, s'accordent à dire qu'au delà d'une simple histoire d'Heroic Fantasy, il y a plein de choses qui s'y jouent. J'ai entendu plusieurs fois des professeurs de littérature me dire que ce qui faisait d'un livre une grande oeuvre, c'était que la forme cachait un fond. Serait-ce un hasard si le premier tome a été publié par Tolkien après guerre et raconte comment Sauron, avide de pouvoir, cherchait à dominer le monde connu ? Je dis cela, je ne dis rien. Et cette opposition culture légitime / culture populaire me fait doucement rire car rappellons que des auteurs de théâtre comme Labiche et Feydeau, ou des compositeurs comme Offenbach ont été longtemps méprisés avant d'être adorés de toutes les compagnies subventionnées dès lors qu'ils sont tombés dans le domaine public.

      Cette longue introduction pour vous dire qu'ici, je ne ferais pas de distinction. Tout ce qui passera sous ma main sera mis au même niveau : culture légitime et culture populaire. Car si on ne peut pas le faire dans la vraie vie, le net sert au moins à rêver à de jours meilleurs.


     

     

     


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