• Bordel Décomplexé

    Saints Row fait partie de ces séries nées pour concurrencer un concept rouleau-compresseur. À une époque pas si lointaine où Grand Theft Auto se faisait unique jeu d'action offrant un terrain de jeu ouvert, le studio Volition se lance dans un pari que beaucoup trouvèrent particulièrement audacieux. Renverser le roi GTA et lui ravir sa couronne. Le projet tenait bien la route. Volition offrait beaucoup et THQ jouait admirablement ses cartes. Sorti en 2006 sur Xbox 360 (uniquement, la version PS3 ayant été annulée), il succède à un GTA - San Andreas sorti un an plus tôt dont il surpasse sans panache les performances techniques et précède un certain GTA 4. Techniquement abouti, mais manquant de profondeur, son ton irrévérencieux trouva écho auprès du public, un public néanmoins acquis à sa cause du fait de l'absence de concurrence immédiate. Fort de ce succès relatif, une suite verrait le jour.

    Saints Row 2 se devait d'enfoncer le clou deux ans plus tard. Volition laissa tomber le côté technique et livra un jeu au graphisme sans éclat, mais d'une profondeur intéressante et aux activités annexes nombreuses et variées. Le politiquement incorrect fit son nid dans la série et le fun se devait rempart face au réalisme austère de son concurrent. Sorti moins de deux mois avant GTA 4, Saints Row 2 entra en duel frontal avec la légende. La victoire du champion en titre est alors incontestable et le challenger ne fait que ramasser les miettes, obligeant ses créateurs a revoir leur copie.

    Combattre GTA sur son propre terrain relevant de la gageure, Saints Row, the Third se devait de s'éloigner de ce cap économiquement dangereux. Le fun et le politiquement incorrect ont fait le succès de la série ? Qu'à cela ne tienne, ils seront les cellules-souches de sa renaissance.

    Un problème se pose néanmoins. Peut-on créer quoique ce soit de cohérent en posant comme base des concepts aussi nébuleux ? Après tout, le fun, et par extension le divertissement, n'est-il pas le but à atteindre par n'importe quel jeu ? Restait donc le politiquement incorrect comme base de production. Une base bancale qui n'a jamais porté les jeux qui l'ont choisie, que ce soit Manhunt ou Postal par exemple. Inutile de dire qu'elle a également plombé leurs suites encore plus dispensables.

    Saints Row, the Third échappe cependant à cette règle funeste par l'entremise d'un postulat simple et pourtant diablement efficace. Une totale absence de sérieux et une démesure surclassant tous les délires cinématographiques de Michael Bay et Roland Emmerich réunis. La première mission est en elle-même une merveille d'invraisemblance, qu'il s'agisse du braquage de banque aussi loufoque que débridé, que de l'évasion d'un avion cargo en plein ciel avec pour toile de fond votre nouveau terrain de jeu, Steelport.

    Et il ne s'agit là que d'un début.

    Plus réduite que pouvait l'être Steelwater, la ville de Steelport gagne en personnalité ce qu'elle perd en surface. Ville née et grandie de l'industrie métallurgique (comme en témoigne la Statue de la Liberté locale, un ouvrier métallurgique ''avec un gros cul'', dixit votre complice de toujours Pierce), Steelport est aux mains du Syndicat, avec à sa tête Philippe Loren, un belge s'exprimant dans un anglais impeccable avec un accent qui me semble des plus français (chacun en jugera). Combiné à sa froideur de financier sans éthique ni scrupule, on obtient un méchant comme on les aime.

    Néanmoins, les Saints de Third Street ne sont plus ce qu'ils étaient. Galvanisés par leur écrasante victoire sur Ultor dans l'épisode 2, ils ne sont plus un simple gang des rues, mais un conglomérat financier au moins aussi important que l'est le Syndicat. De leur propre aveu, les Saints s'encroûtent et prêtent leur image à tout et n'importe quoi rapportant un tant soit peu d'argent, ce qui attise la cupidité de Loren qui tente une OPA agressive sur le groupe Saints-Ultor, croyant l'opération facile. C'est sur cette opposition que s'ouvre Saints Row, the Third. Et c'est là un détail frappant. Contrairement à l'habitude, il n'est pas question ici de reconstruction du gang et de reconquête d'un territoire, mais d'une vendetta pure et simple. Et si la violence est de mise, le camp du joueur n'est aucunement l'agresseur.

    Le scénario par son seul déroulement cautionne à la fois le level-design et les missions annexes qui jalonnent la ville de Steelport. En effet, après avoir refermé vos doigts sur vos premières armes, le nombre de missions disponibles ne vous semblera pas transcendant, et il vous faudra progresser dans l'histoire pour les débloquer. Un choix étrange que le scénario justifiera, même s'il aura tendance à être des plus frustrant. Toutes les activités ne plairont pas à tous et pourtant, vous passerez obligatoirement par elles, car leurs premières instances font l'objet d'une mission scénarisée. Une paresse scénaristique qui se retrouve dans toutes les premières missions. Sous prétexte de didacticiel, elles vous expliquent en détail comment acheter une propriété ou customiser un véhicule, des activités que même le plus amorphe des joueurs est capable de découvrir par lui-même (certaines missions se clôtureront même à la fin d'une simple cinématique, comble de paresse).

    Autant le dire tout de suite, Saints Row, the Third opère un départ lent et frustrant avant d'embrayer sur un rythme haletant de surenchère et de mauvais goût totalement assumés.

    Comme l'expliquent les développeurs au cours des nombreuses entrevues qu'ils ont accordé aux journalistes de la presse spécialisée qui n'ont eu de cesse de leur poser la même question, leur production est tournée vers le fun (et toute personne ayant passé la toute première mission conviendra que c'est réussi) et qu'elle cristallise toute idée qu'ils aient pu avoir tout au long du développement et qui les ait fait rire un tant soit peu. Ils ne se cachaient pas de ce parti-pris, et pourtant une question n'a apparemment pas effleuré l'esprit des journalistes à cet énoncé. Le résultat est-il cohérent ?

    D'un point de vue strictement pragmatique, on s'attendait à ce que ça ne le soit pas et ce n'est pas plus mal (si le jeu-vidéo devait ce contenter de ce qui est réaliste et cohérent, Super Mario et Link seraient des concepts morts-nés), mais du point de vue de la progression et du scénario, nous avons affaire à une bouillie grumeleuse et insipide que seuls sauvent des dialogues fleuris à se tordre de rire (surtout la version originale, les sous-titres français, bien que forts drôles, restent un peu en retrait). Plus on avance dans le scénario, plus il semble truffé d'ellipses en tout genre, ce qui n'est pourtant pas le cas. Le récit est juste particulièrement décousu et visiblement raconté sans aucun souci de compréhension. Pourtant, il aurait mérité un tout autre traitement quand on voit l'étonnante palette de personnages que l'on côtoie au fil de l'aventure, qu'il s'agisse d'Oleg, un malabar de trois mètres partageant avec Kasparov une passion pour les échecs et ses origines, Zimos, le mac trachéotomisé s'exprimant à travers une boite vocale psychédélique ou Killbane, l'ancien catcheur lunatique gavé de stéroïdes, tous sont victimes de désordres physiques et psychologiques truculents qui les rendent absolument hilarants.

    On peut également saluer l'orientation prise par la série. Ayant depuis ses débuts des relents de gangstas, de hip-hop et de bling-bling, certes fort à propos, on sent à présent un certain éloignement de ce milieu pour quelque chose de plus neutre, voire consensuel, un chemin logique compte tenu que les Saints s'éloignent de ce milieu pour celui des affaires. Néanmoins, c'est l'étrange route inverse qu'a effectué l'un des personnages revenu en quatrième semaine, à savoir Shaundi. Les joueurs de l'épisode 2 se souvienne d'elle comme d'une hippie amatrice de beuveries étudiantes, d'alcool et autres substances illicites en tout genre, et plutôt sexuellement libérée. Un personnage parfaitement délirant, et, notons-le, totalement non-violent, devenu entre-temps une gangster sortie du ghetto, maniant les armes peut-être mieux que votre personnage, lui-même quasiment membre fondateur du gang depuis le premier épisode. La dissemblance ne s'arrête pas là. La jeune femme perd ses piercings, son maquillage outrancier et sa splendide chevelure rousse pour un visage sans relief et des cheveux d'un noir de jais, perdant pour ainsi dire toute sa personnalité. La seule chose permettant de rappeler qu'il s'agit d'une seule et même personne demeurant la rivalité permanente qu'elle entretient avec Pierce, votre autre bras-droit.

    Tout ce petit monde manque de profondeur hélas. Et ils ne sont pas les seuls.

    En surface, Saints Row, the Third est sans conteste un terrain de jeu magnifique, mais si on creuse un peu, on se rend compte que certaines richesses du second opus (lui-même amputé de certains charmes du premier) ont été escamotées. Certes, on peut arguer que les possibilités de customisations ont augmentés. À ceci, j'apporterai quelques bémols. L'offre de jantes pour vos voitures a augmenté, c'est indéniable, mais certains modèles de véhicules ne répondent plus à l'appel. De plus, certains modèles ont des possibilités de modifications très restreintes, voire impossibles (et quand on lance un jeu sur fond de guerre des gangs agrémenté d'une invasion de zombies, repeindre un tank de la couleur de son choix ne paraît pas si extravagant). Au rang des vêtements, même constat, les looks sont variés et délirants, mais les styles eux sont bien moins présents. On peut certes modifier les couleurs d'un pantalon ou d'un manteau, mais l'apposition de logos comme le permettait Saints Row 2 sur certains vêtements a disparu, et le nombre de vêtements disponibles a aussi été revu à la baisse. Difficile à justifier quand on cherche à convaincre des possibilités étendues de personnalisation.

    D'un autre côté, si, globalement, la grande famille des armes à feu a gagné en richesse avec l'arrivée d'armes exotiques telles que la frappe aérienne portative ou le sympathique pistolet RC qui vous permet de prendre le contrôle des véhicules, on peut regretter certaines disparitions, comme les armes de poings, au nombre réduit de moitié. Des indélicatesses vite pardonnées en regard des customisations disponibles pour ces armes, pour la plupart tout à fait réjouissantes. Balles incendiaires ou perforantes, lance-grenades ou chargeurs étendus, tout est là pour s'adapter à vos goûts et je doute qu'on n'y trouve pas son bonheur.

    Seule la création de personnage a réellement gagné en options. Un simple coup d’œil aux différents onglets de création vous convaincra que vous pourrez faire absolument tout ce que votre cerveau dérangé pourra vous dicter. Les fans d'Avatar de Cameron (ou des schtroumpfs suivant votre culture) pourront se former un na'vi (ou un schtroumpf, donc) très ressemblant, tout comme les fans de comics trouveront la voie pour forger un Hulk ou un Surfeur d'Argent. Quand on vous dit que tout est possible, on ne peut pas dire que ce soient des mots en l'air.

    Ne boudons pas notre plaisir, Saints Row, the Third se montre plus complet et jouissif que l'immense majorité des jeux du genre, même si son potentiel de rejouabilité est restreint. On y est certes très libre, mais les occasions d'éprouver cette liberté n'en demeurent pas moins limitées. Restent ensuite toutes les améliorations disponibles qui, moyennant finances et respect, feront de vous un véritable dieu vivant sans que vous n'ayez besoin d'entrer le moindre code de triche. Certains fustigeront le système qui peut rendre le jeu plus facile qu'il ne l'est déjà, les autres loueront le fait de pouvoir aligner les trophées sans être dérangé par les dispositifs anti-tricheurs. De ce côté-là, il ne tient qu'à vous d'acheter ou non ces options, les occasions de dépenser son argent étant légion et les revenus plutôt mieux équilibrés que dans son prédécesseur. Par exemple, acheter les meilleures améliorations d'armes est techniquement possible dès votre premier revenu quotidien, mais cela vous demandera une patience que peu de gens peuvent se targuer de sentir couler dans leurs veines avant de réunir la somme nécessaire.

    Pour conclure, on peut admettre que Volition remporte parfaitement le pari qu'il s'était fixé, à savoir produire un jeu où le fun, la pastiche et le mauvais goût sont rois. N'ayant pour buts que de faire rire et divertir son auditoire, Saints Row, the Third touche sa cible aussi sûrement qu'une rafale de gatling met en pièce une pastèque. Sans finesse, ni précision. Tout n'y est qu'un maelström d'idées foutraques alignées sans cohérence. Prises individuellement, leur pertinence ne dénote pas, mais comme des pièces mal agencées sur un échiquier, elles perdent tout leur potentiel en étant utilisées n'importe comment.

    (Un article de Guillaume Boulanger-Pourceaux)


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