• Licence et littérature sont deux mots commençant par li-

    Licence et littérature sont deux mots commençant par li- 

    ( Un article de Guillaume Boulanger-Pourceaux)

      

    Commençons par faire un point rapide.

    La série des Elder Scrolls est au jeu de rôle médiéval-fantastique ce que Le Seigneur des Anneaux est pour la littérature héroïc-fantasy. Une pierre angulaire.

    Débutée en 1994 après une gestation difficile au sein du studio Bethesda Softworks, cette série offrait déjà les prémices d'un univers riche et cohérent dès son premier épisode Arena. Ses développeurs (mais peut-on encore parler de simple développement informatique à ce stade) donnèrent vie et frontières à Tamriel, un empire cosmopolite où cohabitent diverses races et cultures, pour certaines très classiques de l'univers Fantasy (orcs et elfes en tête) et d'autres plus exotiques (Khajiits (Hommes-chats) et Argoniens (Hommes-lézards)). En 1996, sa suite, Daggerfall, pose les bases de ce que seront les futurs épisodes et offre à Tamriel une Histoire qui ne cessera de se développer. Chaque nouvelle incursion dans l'univers vidéoludique des Elder Scrolls deviendra une occasion de visiter à la fois une province de Tamriel, découvrir ses us et coutumes, ainsi que son peuple, mais également de participer à l'écriture de cette Histoire dont les anecdotes fleuriront au fil des autres épisodes. (Pour plus de précisions, je vous invite à consulter le dossier très bien construit disponible à cette adresse : http://www.jeuxvideo.com/dossiers/00012696/la-serie-the-elder-scrolls.htm)

    Sans égaler la démesure de l'œuvre de Tolkien, force est de constater qu'il s'agit de l'univers le plus touffu jamais créé pour un jeu-vidéo, et tenant largement la comparaison avec bon nombre d'univers d'heroic-fantasy.

    Une question se pose alors à la lecture de La Cité infernale : Comment peut-on cuisiner un plat aussi insipide quand on a pour base des ingrédients aussi savoureux ? Certes, même pour un cuisinier chevronné, l'erreur reste probable. Néanmoins, même le produit d'une erreur doit avoir un goût, aussi épouvantable qu'il puisse être. Dans le cas de La Cité infernale, c'eût pu être pire, indéniablement. Mais surtout, c'eût pu être tellement mieux. Tout comme un pH égal à 7, le résultat de cette tentative de transposition littéraire est neutre, sans relief et sans saveur.

    Depuis des temps immémoriaux, les produits dérivés représentent une étrangeté commerciale. Souvent décriés par la critique, rarement à tort, il s'en écoule pourtant des tombereaux à chaque sortie de blockbuster. Pendant des années, le jeu-vidéo a représenté un eldorado pour les services marketing hollywoodiens, répandant dans les rayonnages des revendeurs plus d'insultes au (futur) 9ème art (croisons les doigts) qu'un tracteur ne déverse de lisier sur un champ d'artichauts bretons. Une réputation dont le jeu-vidéo a souffert (et souffre encore d'ailleurs). Pourtant, cet état de fait ne semble pas émouvoir outre mesure les créateurs de jeu tant ils profitent allègrement de ce système depuis que la popularité de certaines franchises a atteint des sommets (Diablo et Resident Evil par exemple). Le tout, pour des résultats, au mieux, mitigés. Il était légitime de se demander quand la série Elder Scrolls finirait par se fourvoyer. C'est désormais chose faite.

    J'avoue ne pas l'avoir vu venir. Pourtant la sortie annoncée du cinquième volet de la saga et la tendance actuelle auraient pu me faire tiquer. J'avais vaguement dans l'idée que ce jour arriverait. J'espérais juste que les choses seraient faites dans les règles.

    Inutile de préciser que voir le but à atteindre ne garantit en rien le succès de l'entreprise.

    Tout semblait pourtant commencer sous les meilleurs auspices. L'histoire, a défaut d'être réellement palpitante, se laisse doucement suivre. Pour en résumer le propos simplement, Umbriel, la Laputa du crû, semble s'attaquer aux habitants de Tamriel, répandant sur le monde des régiments de morts-vivants. La jeune Annaïg et son compère argonien Glim parviennent à embarquer à bord de la cité et y découvrent une société aux mœurs étranges. Je n'en gâcherais pas plus longtemps le suspense, car il faut bien avouer qu'il s'agit là du seul intérêt véritable de cet ouvrage. Un intérêt qu'une quatrième de couverture n'arrive pas à éveiller chez le le lecteur, le seul véritable argument convaincant est d'ailleurs imprimé dans un joli rouge tape-à-l'œil ''D'après le célèbre jeu The Elder Scrolls''. Le ton est donné, nous avons affaire a un produit calibré pour les fans (quoique...), sans aucune volonté d'ouverture vers un autre lectorat. Quant à l'avant-propos ''Quarante-cinq ans après les événements d'Oblivion'', n'y voyez pas l'assurance d'un moindre pont entre l'ouvrage et le quatrième épisode de la pentalogie, si ce ne sont quelques anecdotes rabâchées au long de l'ouvrage. Je confesse avoir souri à la première évocation de Martin Septim, me rappelant mes heures de cavalcade à travers les terres de Cyrodiil (la région arpentée dans Oblivion). L'anecdote devient étonnamment moins nostalgique quand elle est répétée deux ou trois fois au cours de l'ouvrage sans que cela ne semble avoir aucun intérêt, si ce n'est celui de noircir des pages.

    Ajouté à cela la mollesse du texte et la platitude du style, on obtient un produit atteignant très péniblement le niveau moyen des fans-fics qui fleurissent sur les forums (merci cependant aux services de relecture et aux correcteurs, La Cité infernale est lui exempt de fautes d'orthographe). Les fans-fics ont au moins le mérite d'être écrites par des esprits relativement respectueux de l'univers dont ils s'inspirent. Pour Gregory Keyes ce livre semble tenir bien plus du roman alimentaire que de la véritable inspiration. Sans doute a-t-il parcouru The Imperial Library (le site internet de référence quant à l'univers Elder Scrolls), et admis la richesse du matériau mis à sa disposition comme il le dit si bien, mais à aucun moment cela ne transparaît à travers son texte, étrangement pauvre en regard de ce que sont capables de produire les développeurs de Bethesda Softworks (qui eux n'ont pas encore atteint le statut d'artiste). Plus étonnant, mais révélant une certaine nonchalance dans l'écriture (pour ceux qui ne l'auraient pas décelée avant la page 10), l'auteur se prend les pieds dans ses propres mots, prêtant un pronom féminin à un personnage masculin, une erreur dont on puisse douter qu'elle vienne du traducteur, les genres étant bien assez définis dans la langue de Shakespeare. Détail, diront certains. Tout l'Art est dans le détail, répondront d'autres (moi compris). L'inattention peut arriver et l'erreur est humaine, elles peuvent cependant être révélatrices de carences plus profondes. Inutile d'attendre d'avoir les dents qui se déchaussent pour faire une cure de vitamine C. Dans le cas de La Cité infernale, on ne peut que noter la pauvreté des descriptions, nous assaillant dès l'ouverture d'une enfilade de mots plats tentant vainement d'éveiller quelque image chez le lecteur, alors qu'il est évident que l'auteur lui-même n'a qu'une idée très vague du lieu qu'il évoque. La plupart du temps, les contours demeurent flous et mal définis, avec cette nette impression que mes yeux n'étaient pas seuls à souffrir d'une myopie handicapante. Quant aux personnages, on ne peut que dénoter encore une fois la paresse dont on a fait preuve dans leur conception. Au mieux caricaturaux pour quelques personnages principaux, les autres n'affichent guère plus de charisme et d'intérêt que des silhouettes découpées dans du carton. Ils parviennent difficilement à meubler, et encore plus à remplir, un livre déjà étonnamment vain.

    À qui pourrait donc s'adresser cet ouvrage ? Clairement jeté au visage de ceux qui apprécient un tant soit peu l'univers Elder Scrolls, il est dommageable de remarquer que le bâclage de ce livre restreint son public à un cénacle encore plus réduit, le reléguant au rang de curiosité tels les épisodes Dawnstar ou Stormhold édités sur téléphones portables. Sans réelle utilité dans cet univers autre que celle de faire passer le temps de fans vraiment hardcore, se rongeant les ongles jusqu'aux métacarpes, l'écume aux lèvres, en guettant la moindre nouvelle concernant leur univers adulé. Pour les autres, fans de cet univers singulier déjà maintes fois arpenté de long en large, ce livre n'est guère plus qu'une poupée gonflable. Ça a vaguement la forme de ce qu'on recherche, mais ça n'a rien de réellement désirable et les sensations ne sont certainement pas au rendez-vous. Enfin, pour les lecteurs à la recherche d'un roman d'heroic-fantasy et ignorant tout des Elder Scrolls, je ne saurais trop leur conseiller de passer leur chemin. Notamment pour ne pas risquer l'ennui, mais par dessus tout pour que cet univers que j'adore ne soit pas décrié sur la foi de cette idole commerciale. Préférez plutôt vous offrir l'antique Morrowind et ses extensions pour quelques euros ou l'édition anniversaire d'Oblivion, pour les plus réfractaires aux graphismes antédiluviens, et offrez-vous une escapade en Tamriel.

    En priant pour que le prochain volet papier sache apprendre de ces erreurs, tout comme Daggerfall a su exploiter les failles d'Arena pour se propulser vers les sommets. Mais ne rêvons pas trop.

     


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